Chủ Nhật, 24 tháng 3, 2024

Qu’est-ce qui tombe ?

 Tombé. — Qu’est-ce qui tombe ? Est-ce toi qui tombes ? Est-ce moi qui tombe ? Écoute. Timbe. Tambe. Tombe. On dirait de la musique. Tu ne trouves pas qu’on dirait de la musique. Timbe. Tambe. Tombe. Chut. Écoute. Timbe. Tambe. Tombe. Et les paroles, ce serait, je ne sais pas, moi, je ne sais pas, ce serait ça : « Le petit chat est mort », ou n’importe quoi. Écoute. Timbe. Tambe. Tombe. Bon, merci. Voilà qui est assez. Soyons musiciennes, mesdames, musiciens, messieurs, écoutons la musique, mesdames et messieurs, et les oiselles, et les oiseaux, qui tournent dans le ciel, qui tombent dans les eaux, soyons attentives, soyez attentifs, soyons disponibles à la musique, je vous en prie, le petit chat est mort, voyez-vous, et ceci est son requiem. Trois. Quatre. Reprenons. Mesure un. Si vous le voulez bien. Merci. Trois. Quatre. Timbe. Tambe. Tombe. Oui. Plutôt comme cela. Et maintenant, la voix. Le petit chat est mort. Oui. Voilà. Représentez-vous bien la chose quand vous chantez la chose, la mort du chat, représentez-vous le corps autrement agile mais fragile de la petite bête, oui, c’est cela, ne la perdez pas de vue, ne perdez pas de vue la petite bête, imaginez qu’elle perd son équilibre, elle est là, sur le rebord de la fenêtre, elle marche sur le garde-corps, et tout à coup, le corps n’est plus gardé par rien, c’est le faux pas, la maladresse, le drame est proche, impossible de se rattraper à quoi que ce soit, le drame approche, la chute est inévitable, et l’étage trop haut, trop haut pour espérer réchapper de la chute, alors le corps tombe, il est tombé, et quand il touche enfin le sol, il fait un bruit sourd. Imaginez-vous ce bruit sourd avec vos oreilles, oui, voilà, c’est cela, et imaginez-vous, de l’autre côté de la cour intérieure, ouvrez les yeux à présent, ouvrez les yeux et regardez-le, ce drôle de type qui passe son temps à ne rien faire, imaginez-vous qu’il regarde la scène, non parce qu’il regarde cette scène en particulier, non, mais parce qu’il passe son temps à regarder par la fenêtre de sa cuisine ce qu’il se passe dans la cour intérieure, il n’a rien d’autre à faire, imaginez-vous un drôle de type, plus tout jeune, non, qui regarde le chat tomber. Et le chat tombe. Le chat est tombé. Timbe. Tambe. Tombe. Et le type, un drôle de type, regarde le chat tomber. Regarde le chat tombé mais ne le voit pas. Ou peut-être ne le regarde-t-il pas, on ne sait pas, mais au moins alors il le voit, et tout à coup, le drôle de type, il ne sait plus, il ne sait plus ce qu’il a vu ou ce qu’il n’a pas vu, si seulement il y a quelque chose à voir ou s’il n’y a rien à voir. Et le type, le drôle de type, c’est l’auteur. Et il écrit ceci. Timbe. Tambe. Tombe. Essayez de vous représenter la chose. Essayez de sentir la chose. J’entends : le mélange d’effroi et d’incrédulité devant la chose. N’étant pas sûr de ce qu’il a vu, l’auteur, l’auteur peut tout imaginer, tout et son contraire, tout et n’importe quoi, quelque chose ou rien, il peut dire : C’est un chat qui vient de tomber, il peut dire : C’est une chose qui vient de tomber, même si je ne sais pas quoi, il peut dire : C’est un être humain qui vient de tomber, il peut dire : C’est un homme qui vient de se jeter par la fenêtre après avoir assassiné femme et enfants, il peut dire : Je ne sais pas ce qui vient de tomber, il peut dire : C’est une femme qui vient de tomber parce que son mari la bat et que ses enfants sont des monstres d’égoïsme, et ils puent, et ils sont bêtes, et ils sont sales, et ils puent, madame l’assistante sociale, disait-elle avant quelques heures à peine avant de tomber à l’assistante sociale, si vous saviez comme ils puent, il peut dire : Imagine, il peut se le dire, oui, imagine, il peut, il peut dire : Imagine si ce que tu as cru voir tomber, ce n’était pas ce que tu avais cru voir tomber, mais tout à fait autre chose, pas une chose, pas une bête, pas même vraiment un être, mais un monstre, oui, imagine, si c’était le Minotaure que tu venais de voir tomber, cet appartement haussmannien, tu sais, ce ne serait pas simplement un appartement haussmannien, ce serait le labyrinthe originel, l’ancestrale Crète, l’île errante dans la Méditerranée béante, et des bêtes étranges, des monstres antiques, des êtres incompréhensibles à la raison hanteraient les dédales de ces couloirs, et las d’attendre le héros qui donnerait un sens à sa vie, enfin un sens, même absurde, le sens, las de tant d’humanisme, le monstre, imagine, le Minotaure, revenu de tout, fatigué, se serait foutu en l’air, oui, littéralement en l’air, c’est-à-dire en terre, bruit sourd sur le pavé de la cour intérieure, la bête est morte. Timbe. Tambe. Tombe. Mais pardon. Oui ? Oui, pardon, Maestro, je ne comprends pas : n’étions-nous pas partis sur un chat ? Qu’est-ce que vous pouvez être terre à terre, mon bon ami. Ce n’est pas que vous ne comprenez pas, mon bon ami, c’est que vous ne comprenez rien. Le chat, la bête, la chose, le corps, le monstre, le cadavre, le Minotaure, l’Écrivain, c’est tout un. Ce ne sont que des images, des allégories, c’est le son, le bruit de la vie, c’est le bruit de la vie qu’il faut s’efforcer d’entendre, la vie quand elle résonne, la mort quand elle sonne à la porte. Savez-vous le son que fera votre mort ? Non, bien sûr que non, évidemment que vous ne le savez pas. Tout le monde l’ignore. Et que vous dit l’auteur ? Eh bien, que vous dit-il, l’Écrivain ? Il vous dit ceci, écoutez-le bien, il vous dit : Voici le son de votre vie, voici le son de votre mort, et ce qu’il y a d’inouï, c’est que le son de votre vie et le son de votre mort, ce sont un seul et même son, il n’y a pas de différence entre la vie et la mort, tout cela, c’est tout un, tout est un, ou rien n’est un, il n’y a pas de différence, tout se tient, tout s’embrasse, tout s’épouse, tout s’entr’exprime, la chute du grave, du chat, de l’homme, de la femme, du cadavre du suicidé, de ses enfants tuméfiés, du Minotaure ou la chute du Minauteur, c’est tout, tout se tient. Reprenons à la mesure un, si vous le voulez bien. Trois. Quatre. Timbe. Tambe. Tombe. Le chœur à présent. Merci. Le petit chat est mort. Oui, c’est cela, Entendez-vous la différence à présent ? Il faut que vous entendiez la différence résonner dans vos os, il faut que vous l’entendiez résonner dans votre chair. Ce n’est pas “juste de la musique”, voyez-vous, non, ce n’est pas “juste de la musique”,  loin s’en faut, c’est votre vie qui se joue, là, sous vos yeux, dans vos oreilles, la vie même, oui. Il faut que vous le chantiez ainsi. Il faut que voue jouiez ainsi. Que vous le ressentiez ainsi. C’est la partition de votre vie et la partition de votre mort. Et il n’y a pas de partition entre la vie et la mort. La partition fait entendre l’absence de partition. Ce qu’Orsini a voulu nous dire par cet événement banal, c’est qu’il faut être ouvert à la vie, parce que la vie contient la mort, et qu’il ne faut pas avoir peur de la mort, parce que la mort contient la vie. Nous ne nous sommes pas égarés un beau jour dans le labyrinthe, par désœuvrement et l’ennui qui s’ensuit. Non, l’égarement est notre condition. Nous sommes l’égarement. Nous sommes l’étrangement. Nous errons de par le monde à la recherche de quelque chose dont nous ignorons tout. Est-ce un cadavre ? Est-ce une femme ? Est-ce quelque bête étrange ? Est-ce soi-même ? Sommes-nous nous ? Qu’est-ce qui tombe, en effet, quand nous ne le regardons pas tomber mais que cela tombe cependant ? Tout ne tombe-t-il pas tout le temps ? Timbe. Tambe. Tombe. Voilà ce que nous dit Orsini. C’est à la fois superficiel et profond. Parfaitement banal et extraordinaire. C’est formidable, au sens ancien du terme. Si l’on n’y prête pas attention, si l’on ne prête pas attention à la vie, on dirait que rien ne se passe, et pourtant, tout le temps, quelqu’un meurt, tout le temps, un corps tombe. Timbe. Tambe. Tombe. Ce n’est pas vrai que tout va bien. Ce n’est pas vrai que tout va mal. Rien n’est vrai. Tout est vrai. Il faut envisager l’existence autrement. Tout ouvert. Grand ouvert. Les chose qui tombent, à supposer qu’elles soient des choses, les chose qui tombent ne sont pas simplement des choses, ce sont des vérités, ce sont des mensonges, ce sont des truismes, ce sont des épiphanies, ce sont des banalités, ce sont des révélations. Qui se soucie d’un petit chat qui tombe par la fenêtre de sa maison et s’écrase par terre ? Personne ; générale est l’indifférence. Et pourtant, pourquoi ne serions-nous pas déchirés par cette chute ? Comment se fait-il que nous ne soyons pas meurtris de la mort du Minotaure ? Et comment pouvons-nous mépriser à ce point le Minauteur ? Au centre du labyrinthe, c’est un monstre qui se trouve. Au centre un labyrinthe, c’est soi-même que l’on trouve. Pas un reflet. Pas une métaphore. Soi, chair et os, nous qui sommes des monstres, mélange, hybridation, différence, hétérogénéité, pas de génération sans différence, la corruption est homogénéité. Persée tue le Minotaure parce que le Minotaure, c’est lui-même et que la vie abhorre le même. Persée ? Ai-je dit Persée ? Pardon pour le le lapsus calamiteux. Thésée, donc, oui, bien sûr, Thésée tue le Minotaure parce que le Minotaure, c’est lui-même et que la vie abhorre le même. Or, la vie, pour vivre, la vie ne peut que donner la mort. Et la corruption est la génération. Et la tombe, le berceau. Timbe. Tambe. Tombe.  C’est si simple. C’est si beau. Reprenons. Votre attention, s’il vous plaît, mesdames et messieurs. Soyons musiciens. Reprenons. Mesure numéro un. Trois. Quatre.



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( dịch) Blanchot- một số suy ngẫm về chủ nghĩa siêu thực

Phụ lục: Bài viết này được xuất bản lần đầu năm 1945 trên tạp chí L'Arche, số 8, với tựa đề "Một vài suy ngẫm về chủ nghĩa siêu thự...